Introduction :
Les inégalités entre les hommes et les femmes en matière de santé constituent un problème complexe et persistant à l’échelle mondiale. Malgré des progrès réalisés dans de nombreux domaines, les disparités de genres en santé demeurent une réalité qui se manifestent à plusieurs niveaux, de l’accès aux soins à la manière dont les maladies sont diagnostiquées et traitées sans oublier la recherche médicale où les femmes sont historiquement sous représentées dans les essais cliniques. Dans ce contexte, les femmes ont été dans l’histoire moins prises au sérieux par les professionnels de santé, entrainant des sous-diagnostics ou des diagnostics tardifs, notamment dans des pathologies féminines longtemps ignorées et mal prises en charge comme l’endométriose ou le SOPK (Syndrome des Ovaires Polykystiques).
Dans ce contexte, on voit l’émergence de projets portés par des femmes entrepreneuses pour répondre à leurs besoins spécifiques et leur apporter des solutions, des services innovants qui n’existent pas dans les circuits traditionnels. C’est l’arrivée de la FemTech, qui regroupe l’ensemble des technologies, produits ou et services innovants en faveur de la santé des femmes. Un secteur en pleine expansion avec un marché potentiel estimé à 50 Milliards de dollars mais un secteur souvent méconnu, voir méprisé qui peine à convaincre les acteurs traditionnels (fonds d’investissements, pouvoirs publics) d’investir sur eux !
Alors que les femmes représentent plus de la moitié de l’Humanité, retour sur le grand débat de l’Université de la e-santé « Le numérique au service de la santé des femmes : oasis ou mirage ? » avec quatre intervenantes de choc, Emmanuelle Pierga, fondatrice de TamTam Santé et membre du Collectif Femmes de Santé, Pauline d’Orgeval, Co-fondatrice – Présidente de Deuxième Avis (lauréat des trophées de la e-santé en 2018), Erini Rapti, fondatrice de Inne venue spécialement de Berlin et Christel Bony, Présidente de SexTech For Good et Co-fondatrice de l’association FemTech France.
Emmanuelle Pierga, fondatrice de TamTam Santé et membre du Collectif Femmes de Santé
Une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de santé
« 70% des étudiants en médecine sont des femmes mais ce pourcentage chute à 28% pour les femmes agrégées avec pour conséquence une formation essentiellement assurée par des hommes qui ont une méconnaissance des pathologies spécifiques aux femmes » explique Emmanuelle Pierga en introduction et d’ajouter « la santé des femmes a été pensée par des hommes ! ».
Pour illustrer ce propos, on peut citer les essais cliniques dont les essais genrés datent d’il y a seulement 15 ans avec historiquement une grande majorité d’hommes dans les cohortes des patients[1] et des effets délétères sur la physiologie des femmes car « on a administré des médicaments aux femmes pendant des années qui étaient in fine conçus pour les hommes et pas adaptés à la physiologie féminine ». Même constat dans les diagnostics où les symptômes masculins étaient bien documentés mais moins les symptômes féminins dans certaines pathologies avec des erreurs de diagnostics (l’exemple de la crise cardiaque est le plus criant). Autre point, la médecine genrée n’a pas existé pendant des années, les apprentis médecins n’ont pas été formés à des pathologies et des symptômes purement féminins. On a plein de pathologies qui n’arrivent qu’aux femmes « qui ont été négligées que ce soit dans la recherche, dans l’évaluation du diagnostic, des essais cliniques… donc on peut dire que les femmes ont été négligées dans leur maladie pendant des années ! ».
On est face à une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes qui a perduré, accentuée selon Emmanuelle Pierga par un élément culturel « les femmes avant de s’occuper d’elles même et notamment de leur santé, s’occupent des autres… les mères s’occupent de leur enfant et ça conduit à un renoncement de soins ou des reports de soins… c’est la conséquence d’une éducation ».
L’exemple de l’Endométriose est peut-être le plus représentatif de cet état de fait. Les patientes souffrant de cette pathologie ont en moyenne entre 7 et 10 ans d’errance diagnostique avec de très fortes douleurs. C’est la première cause de recours à Deuxième Avis, plate-forme de téléconsultation co-fondée par Pauline d’Orgeval qui permet d’obtenir un second avis médical formulé par un médecin spécialiste. « Majoritairement les gynécologues étaient des hommes et le fait d’avoir des douleurs pendant ses règles était considéré comme normal. Aujourd’hui on réalise que c’est une vraie pathologie, avec ses spécificités et une prise en charge adaptée. On a besoin de spécialistes formés, à Deuxième Avis on a des gynécologues référencés, des radiologues spécialisés dans la prise en charge de cette pathologie et dans l’accompagnement pour lutter contre la douleur ». Pouvoir bénéficier de cette expertise à distance constitue une avancée pour ces femmes où plus de deux tiers des avis demandés sont différents des premiers avis posés ! Idem pour le Syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) qui touche environ une femme sur dix en âge de procréer. Pour Pauline D’Orgeval « c’est la nouvelle pathologie dont on va beaucoup parler, avec des répercussions sur l’infertilité et parfois la pilosité et le poids. Aujourd’hui on a peu de demandes à Deuxième Avis mais on sait que ça va exploser car il y a une prise de conscience générale, du corps médical et des patientes qui vont chercher à savoir si elles sont atteintes de cette pathologie ». Le public qui consulte Deuxième Avis ? Surtout des « femmes jeunes, présentes sur les réseaux sociaux et qui se sont constituées en associations très actives. Le bouche à oreille va très vite pour demander un avis médical sur Deuxième Avis ».
Autre exemple intéressant, le contrôle de la contraception par les femmes. C’est le désir d’utiliser une contraception naturelle tout en partant du constat qu’il était impossible dans la pratique d’utiliser de manière fiable les méthodes naturelles traditionnelles de contrôle de la fertilité qui a poussé Eirini Rapti à créer Inne pour permettre aux femmes, grâce à la technologie, de mieux connaitre leurs corps et de rester maitres de leurs choix en matière de contraception afin de mieux gérer leur vie privée et leur carrière. Elle a développé à partir de 2017 un biocapteur salivaire permettant d’identifier et de prévoir la phase fertile de leur cycle menstruel le tout sans connaissances médicales ou scientifiques particulières « juste une obsession de trouver un modèle alternatif de contraception, sans que l’on touche à mes hormones ! ». Mais les challenges ont été grands « je devais en même temps découvrir et connaitre les systèmes de santé, les systèmes financiers et l’univers des biotech !. J’ai quitté mon job pour ça. ».Aujourd’hui Inne c’est 1 Million d’€ de chiffre d’affaires, 27 personnes et une levée de fonds de 17 Millions d’€.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, l’endométriose se caractérise par le développement de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus. Elle peut entrainer une douleur aiguë dans le bassin et des difficultés à tomber enceinte. Cette maladie chronique affecte environ 10% des femmes en âge de procréer, soit des centaines de millions de femmes dans le monde et son diagnostic est en moyenne posé avec un retard de 7 à 10 ans après l’apparition des premiers symptômes. Cette maladie peut avoir des impacts significatifs sur la qualité de vie des femmes affectant leur travail, leurs relations et leur bien-être en général avec des symptômes courants qui comprennent des douleurs pelviennes intenses, des douleurs menstruelles sévères, des douleurs lors des rapports sexuels, des saignements menstruels abondants et parfois des troubles de la fertilité (environ 30 à 50% des femmes atteintes d’endométriose rencontrent des problèmes de fertilité).
Le Syndrome des Ovaires Polykystiques (SOPK) est un trouble endocrinien qui affecte principalement les femmes en âge de procréer. Ce syndrome entraine la formation de Kystes dans les ovaires qui peuvent provoquer des menstruations irrégulières et des symptômes tels que l’acné, la croissance excessive des poils, la prise de poids et des problèmes de fertilité. Le SOPK affecte environ 5 à 10% des femmes en âge de procréer dans le monde, c’est l’une des principales causes d’infertilité chez les femmes (on estime que 70 à 80% des femmes atteintes de SOPK ont des problèmes de fertilité.
Pauline D’Orgeval, Co-Fondatrice et Présidente de Deuxième Avis
Des difficultés pour lever des fonds et trouver un modèle économique quand on est une femme qui cherche à développer un service ou un outil spécifique dédié aux pathologies féminines.
Sans aucun doute, pour Eirini Rapti, fondatrice de Inne, qui explique que sa levée de fond a été assez compliquée mais « pas parce que je suis une femme mais parce que je suis dans une minorité sexuelle, comme si j’étais dans une minorité de couleur ou autre… en face de moi j’ai des interlocuteurs qui sont majoritairement des hommes qui ne comprennent pas l’importance du problème que je suis en train d’expliquer ». On en revient encore à un problème culturel pour Pauline D’Orgeval, « les femmes n’osent pas demander autant que les hommes en levée des fonds, elles ont peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur. Mais il faut éduquer, car que l’on lève 7 Millions d’€ ou 300 000€ c’est un travail de dingue ! On s’impose probablement un plafond de verre, c’est en tout cas ce que je constate dans mon réseau. C’est à nous de nous bouger et faire bouger les jeunes générations pour supprimer ce plafond de verre ! ».
Eirini Rapti, Fondatrice de Inne
Chez FemmTech France, on constate que le médian de la levée de fonds dans ce secteur, c’est 1 Million d’€ et que moins de 40% des start-up ont réussi à lever. C’est très peu pour Christel Bony, on est dans une industrie ou « les femmes sont victimes d’une double peine. Ces sociétés sont à 96% créées par des femmes, qui sont des patientes expertes ou touchées par une maladie. Elles ont à 47% seulement un professionnel de santé dans leur board et elles ont souvent comme retour qu’on ne transmettra pas leur dossier pour obtenir une levée de fonds. Pour moi ça s’explique car les board des sociétés d’investissement sont constitués à 80% par des hommes qui ont plus de 50 ans avec peu d’intérêt pour certaines pathologies exclusivement féminines. La double peine c’est être une femme sur un sujet qui n’est pas suffisamment pris au sérieux. ». Et d’évoquer les difficultés que rencontrent la jeune start-up VULVAE[2], un service de santé numérique dédié à l’accompagnement des patientes au soin des douleurs vulvaires, « que tout le monde trouve formidable mais que personne n’aide concrètement ».
Est-ce plus simple dans d’autres pays comme aux Etats-Unis ?
Oui pour Christel Bony, en citant l’exemple d’une start-up qui n’a pas encore lancé son application destinée à la santé des jeunes femmes et proposant tout un panel de services à distance, elle a réalisé un premier tour de table à 10 Millions d’€ et fait un second tour à 16 Millions d’€ alors que l’on a en France « des entreprises qui proposent la même chose depuis des années et qui n’ont rien ! On va leur demander de faire des études cliniques, des boards avec des médecins mais tout ça coute de l’argent et du temps et si on le finance pas ça n’existe pas… ».
Christel Bony, Présidente de SexTech For Good et Co-fondatrice de l’association FemTech France.
Pour lutter contre ces difficultés et ces clichés, FemTech France propose des accompagnements personnalisés, des espaces de visibilité couplés à des actions de lobbying pour aider les femmes à booster leur projet. Booster un projet ça peut être aussi de conseiller de ne pas aller en priorité sur le marché français où on a « l’impression culturelle que la santé est gratuite ». 68% des entreprises qui ont répondu à un sondage de FemTech France disent avoir pour objectif de développer des services qui seront remboursés par l’assurance maladie. Pour Christel Bony,« obtenir un remboursement pour ce type de solution va être long et compliqué, les entreprises ont intérêt à aller sur des marchés ou les femmes sont habituées à payer pour ce type de prestations ». On peut prendre en exemple FIZIMED et PERIFIT qui proposent des solutions à domicile pour la rééducation du périnée qui ont trouvé leur premier marché dans des pays où il n’existe pas de prise en charge par le système de santé de ce type de rééducation.
Malgré tous ces obstacles, Emmanuelle Pierga insiste sur le fait que « l’industrie de la FemTech est en train d’exploser dans le monde ». Même s’il est difficile d’avoir des chiffres précis, les premières cartographies indiquent des augmentations impressionnantes du nombre d’entreprises qui se positionnent sur ce secteur[3]. Eirini Rapti partage ce constat, pour elle il n’y a aucun doute qu’il y a une explosion mondiale de la FemTech mais « c’est un marché horrible » avec des normes réglementaires importantes, des modèles économiques qui varient en fonction des systèmes de santé différents. Selon elle, « la majorité des start-ups du domaine vont mourir dans les 12 prochains mois, je ne veux pas apporter de mauvaises nouvelles mais c’est la réalité ! ».
Les difficultés arrivent quand il faut commencer à avoir une rentabilité. « Les femmes ont plus de mal à passer au stade scale-up, elles ne sont pas aidées pour passer ce seuil de rentabilité, pour basculer dans cette phase d’industrialisation ». Christel Bony distingue les champs de la santé et du bien-être. Les projets qui entrent dans le champ du bien-être souffrent d’être considérés comme pas assez innovants et pas assez ambitieux à l’international par les investisseurs. « Alors que l’on a des applications qui ont une vraie utilité dans le parcours de soins et la qualité de vie mais si elles doivent être financées par des fonds qui s’attendent à faire X 10 en 5 ans ça ne marchera pas. Aujourd’hui se pose la question d’avoir des fonds qui financent aussi de l’impact sociétal ou de la qualité de vie et qui n’attendent pas les mêmes retours sur investissement. »
Eirini Rapti, Fondatrice de Inne
Pauline D’Orgeval, dont la société a levé 4,5 Millions d’€ depuis sa création, pense que les entreprises de la FemTech pourraient être plus nombreuses à avoir le statut d’entreprise à mission pour lequel il existe des fonds spécifiques (fonds à impact social) avec des exigences plus adaptées au secteur mais « vous devez quand même trouver votre modèle économique avec une exigence d’impact très forte… ».
Quid de l’existence de fonds spécialisés FemTech ? Une initiative qui peut être une bonne solution pour Pauline D’Orgeval mais à court terme car au final « on aura réussi quand il n’y aura plus de fonds spécialisés ». Eirini Rapti va dans le même sens, il est important d’avoir des fonds spécialisés, plus patients avec des guidelines adaptées mais le secteur a aussi besoin de gros investisseurs qui doivent « comprendre l’opportunité d’investir dans ce secteur et pour ça on a besoin d’avoir de grands succès et je suis persuadée que le paysage peut vraiment changer ! ». Pour Christel Bony c’est les mêmes enjeux que les quotas mis en place pour assurer une représentativité des femmes en politique…
Côté technique qu’est-ce que le numérique peut apporter aujourd’hui ou demain à la santé des femmes ?
Plusieurs exemples sont cités, comme la solution Matrix qui permet grâce à de l’Intelligence Artificielle d’affiner un diagnostic d’endométriose avec de l’imagerie. Sont également citées des plates-forme de téléconsultations spécialisées sur les pathologies féminines et des outils de suivis à distance de maladies chroniques féminines. Le secteur de la reproduction, qui fait partie de la FemTech, va devenir un problème planétaire. Une étude affirme qu’en 2050 tous les êtres humains auront besoin d’une aide pour faire un enfant ! On voit l’émergence de solutions innovantes (plateformes de coordination de professionnels de santé…) pour lutter contre ce phénomène de société porté par les femmes dans l’inconscient collectif mais qui est avant tout une affaire de couple. Ce qui fait dire à Christel Bony avec le sourire en conclusion que « ça sera un sujet dont on va plus parler et qui sera plus financé car il concerne aussi les hommes et pas que les femmes ».
Lauréat des trophées de la e-santé en 2018 dans la catégorie Télémédecine, Deuxième Avis se porte bien ! Ce service permet aux patients confrontés à un problème de santé grave d’obtenir un 2ème avis médical en moins de 7 jours auprès de médecins qui ont un très haut niveau d’expertise. « Depuis le COVID on a fait x 2 en terme d’usage. Nos médecins vont rendre cette année 8000 avis, potentiellement il y a 24 millions de consultations d’experts en France et on considère que la moitié pourrait être faite sur dossier. On a encore de la marge et un beau marché devant nous. On est une équipe de 25 personnes et on a surtout trouvé un modèle économique. Le service est pris en charge dans le cadre de contrat santé ou prévoyance et on couvre potentiellement 30 millions de patients qui ont accès gracieusement au service ».
Plus d’informations : https://www.deuxiemeavis.fr/
Emmanuelle Pierga, membre du collectif Femmes de Santé nous en dit plus sur ce projet « L’objectif est de réunir dans un même écrin tout ce qui touche à la santé des femmes : des instituts de recherche, des entreprises, de la formation pour faire en sorte que les femmes soient à égalité en terme d’accès aux soins et d’approches cliniques. On est face à un véritable phénomène de société. Aujourd’hui le concept est là, les forces vives sont là, maintenant il faut des moyens, des financements, publics et privés, pour lancer de façon opérationnelle cet institut en 2024 ».
Bienvenue sur notre blog dédié à la santé numérique. Au fil des articles que nous partagerons ici, nous reviendrons sur les temps forts de l’Université de la e-santé et nous explorerons en profondeur le vaste monde de la e-santé. Que vous soyez un passionné ou un professionnel des nouvelles technologies, préoccupé par votre santé personnelle, ou tout simplement curieux de savoir comment le numérique affecte le domaine médical, ce blog est fait pour vous !
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