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Retour sur le grand débat introductif de l’Université de la e-santé « E-santé : oasis ou mirage pour nos systèmes de santé ? »

Le point de vue de Stéphane Pardoux

Directeur général de l’ANAP Agence Nationale de la performance sanitaire et médico-sociale

Introduction :

Les différents confinements ont fait exploser les usages de la e-santé, notamment les téléconsultations avec l’espoir que cela crée une réelle dynamique d’adoption de ces outils par la population et les professionnels. Trois ans après, nous nous posons la question de savoir si nous n’avons pas été victimes d’un mirage ? Les chiffres de la téléconsultation se sont effondrés, l’accès à des médecins reste toujours très compliqué et les français dans leur grande majorité ne se sont pas appropriés de manière active leur espace de santé numérique. Les anciennes habitudes semblent avoir refait surface alors que nos systèmes de santé sont plus que jamais en crise, parfois au bord de l’implosion et ou près de la moitié des français ont affirmé renoncer à au moins un soin l’année dernière !

Alors, la E-santé : oasis ou mirage pour nos systèmes de santé ? C’est la question qu’on a posée à nos invités lors de notre grand débat introductif de la dernière édition de l’Université de la e-santé. Nous avons eu le plaisir et le privilège d’accueillir le Dr Sam Shah, expert international e-santé et ex directeur du développement digital du NHS, Denise Silbert, conférencière et fondatrice de Basile Stratégie, Arthur Dauphin, chargé de mission numérique à France Asso Santé, Béatrice Garrette, directrice générale de la Fondation Pierre Fabre, le Dr Vishaal Virani, responsable de YouTube Santé au Royaume-Uni et Stéphane Pardoux, directeur général de l’ANAP et conseiller scientifique de l’Université de la e-santé.

Des échanges riches, parfois musclés mais qui ont permis à nos participants de prendre de la hauteur et surtout d’avoir une vision globale sur les freins mais aussi sur les succès dans le déploiement de la e-santé !

Retour sur le point de vue exprimé par Stéphane Pardoux, directeur général de l’ANAP et Conseiller Scientifique de l’Université de la e-santé, qui inaugure cette série d’articles consacrés à ce grand débat.

 

grand débat Université de la e_santé

« E-santé oasis ou mirage ? le thème de ce débat est en soi choquant, dans aucun autre secteur on ne se poserait cette question ! »

« Dans aucun autre secteur on ne poserait cette question ! Aujourd’hui la e-banque, le e-commerce, le e-service public est une réalité ! ». La réalité pour le système de santé français, les établissements de santé est que l’on peine à attraper la transformation numérique et « ce n’est pas un problème d’argent, il y a plus de 2 Milliards d’Euros qui sont mobilisés en ce moment même par le Segur du numérique, il y a une dynamique institutionnelle très forte mais ça ne prend pas ou en tout ça a du mal à prendre ».

Stéphane Pardoux identifie trois peurs qui peuvent expliquer ces difficultés.

La première est la perception pour la plupart des acteurs que la santé c’est avant tout de l’humain et que toute autre option est de la dégradation de la prise en charge, « il y a une perception très forte des patients, des praticiens, des pouvoirs publics qu’en faisant de la e-santé on va dégrader la prise en charge ». Pour illustrer ce propos, on peut citer les réactions à l’offre du groupe Ramsay qui propose un abonnement mensuel à 12€ pour accéder à des téléconsultations illimitées, une sorte de Netflix de la téléconsultation. Cette offre a été très critiquée par les associations de patients.

La deuxième est que l’on a toujours présenté la transformation numérique comme un vecteur d’économie et le secteur de la santé « déteste que l’on parle d’argent et c’est une peur autour de l’économie du système avec des acteurs qui pensent que l’on va leur demander de faire plus d’actes avec moins de professionnels ».

La troisième peur émane des pouvoirs publics : c’est l’absence de capacité de contrôle de la e-santé avec un fort enjeu de maitrise des dépenses.  « Sauf à augmenter les cotisations sociales nous n’avons pas assez de richesses produites dans le pays pour financer les dépenses de santé. La maitrise de nos dépenses de santé, elle est nécessaire. La crainte est qu’en ouvrant largement la télémédecine par exemple, l’acte de soin devienne trop consommable et pas assez encadré ».

grand débat Université de la e_santé« Il y a une perception très forte des patients, des praticiens, des pouvoirs publics qu’en faisant de la e-santé on va dégrader la prise en charge ».

Quand on cumule toutes ces peurs, on obtient les points de blocage qui ne sont pas liés à l’argent, mais plutôt à un problème compréhension intellectuelle, « tout le monde voit bien que l’on peut faire de la e-banque, du e-service public, c’est ce cumul de peurs qui font que le système est bloqué ».

De plus, il faut associer la e-santé au seul mot important : la « pertinence » des soins, « si l’on fait ça, on touche aux questions économiques, aux questions pour le corps médical et paramédical, on touche aux questions de développement durable. Il faut accepter que la e-santé c’est de l’écologie sanitaire, de l’écologie dans la prise en charge ».

Mais surtout, il n’y a pas d’autre option pour Stéphane Pardoux, « la crise des systèmes de santé va durer, elle est nationale et internationale et elle va s’amplifier. Il y aura de moins en moins de métiers du soin, il est impératif de créer les conditions d’exercices professionnelles plus allégées, mieux organisées et ce que permet la e-santé ».

« La crise des systèmes de santé va durer, elle est nationale et internationale et elle va s’amplifier. Il y aura de moins en moins de métiers du soin, il est impératif de créer les conditions d’exercices professionnelles plus allégées, mieux organisées et ce que permet la e-santé ».

Sur le fait que ça ne fonctionne pas une fois ces constats réalisés ?

« Il faut aussi que les associations de patients poussent et je ne suis pas persuadé qu’aujourd’hui ce soit le cas ».

grand débat Université de la e_santéLes raisons sont multiples.

La première est interne au fonctionnement des établissements, qui ne sont « pas acculturés, qui n’ont pas la maitrise technique et technologique complète de ces sujets-là et en ce sens le plan national de formation mis en place par le Ministère a pour but de donner à l’ensemble des professionnels de santé un niveau de maturité et de compréhension de l’ensemble des sujets ».

La seconde concerne les pouvoirs publics où il y a une question de faire confiance aux acteurs et donc « de lâcher un peu les contraintes réglementaires dont on voit qu’elles ne sont pas négligeables, sur la téléconsultation par exemple. Il faut aussi que les associations de patients poussent et je ne suis pas persuadé qu’aujourd’hui ce soit le cas ». Et d’ajouter « l’ampleur de la crise et la difficulté de recrutement que nous allons encore vivre dans ce pays vont obligatoirement faire accélérer le sujet. Je crains que ce soit la contrainte ressources humaines qui fasse accélérer massivement le dispositif ».

« C’est à l’échelle de chaque territoire et de chaque Groupement Hospitalier de Territoire que doit se décliner une politique de télémédecine et une politique de télésanté. Ça peine encore. »

L’offre proposée par Ramsay a le mérite de poser le sujet et de « démontrer qu’à chaque fois dans notre pays qu’une initiative vient perturber le sujet, malheureusement on l’analyse de suite à l’aune en affirmant qu’on préférerait une transformation globalisante du système qui n’aboutit à rien » et d’affirmer « c’est à l’échelle de chaque territoire et de chaque groupement hospitalier de territoire que doit se décliner une politique de télémédecine et une politique de télésanté mais ça peine encore ». Pour arriver à ces objectifs ambitieux, « on aurait dû fixer dans les priorités des Groupements Hospitaliers de Territoire celle de bâtir une politique coordonnée de télémédecine, de téléradiologie ou de télébiologie par exemple » et aujourd’hui ce n’est clairement pas dans les priorités, « ce qui intéressent les dirigeants hospitaliers ce sont les politiques médicales, le ciment et le béton, le numérique c’est toujours et encore après ».

« Ce qui intéressent les dirigeants hospitaliers ce sont les politiques médicales, le ciment et le béton, le numérique c’est toujours et encore après ».

Selon Stéphane Pardoux, c’est une erreur car il faudra peut-être que chaque dirigeant de structures de soins, publiques ou privés, se dise « que demain le numérique sera un avantage concurrentiel majeur. Que ceux qui auront fait la bascule de la e-santé seront ceux qui auront plus de facilités à recruter car ils auront des conditions de travail améliorées par rapport à ceux qui ne l’auront pas fait et c’est ceux-là qui attireront les patients. Je sais que mes propos peuvent choquer en France mais le système de santé français est fondé sur un principe de libre concurrence entre établissements, c’est un système de libre choix à la différence du système anglais. Ce système a des conséquences négatives mais il a des conséquences aussi très positives pour les français. Il faut peut-être aller au bout de la logique de ce système et porter ce discours » et de prendre l’exemple d’une grande clinique toulousaine qui a fait ce choix majeur de dématérialiser, pas uniquement dans le domaine de la prise en charge médicale mais aussi des process administratifs dans lesquels 100% des admissions sont dématérialisées.

« Demain le numérique sera un avantage concurrentiel majeur. Que ceux qui auront fait la bascule de la e-santé seront ceux qui auront plus de facilités à recruter car ils auront des conditions de travail améliorées par rapport à ceux qui ne l’auront pas fait et c’est ceux-là qui attireront les patients ».

grand débat Université de la e_santéSur le sujet spécifique du marché de la e-santé en matière de prévention :

« Notre système a du mal à appréhender le modèle économique de la prévention car les rendements sont des rendements de demain quand les dépenses sont des dépenses d’aujourd’hui ».

« Tous les acteurs, du grand groupe à la start-up, ont bien compris qu’il y avait un potentiel énorme mais le sujet qui demeure est celui du modèle économique. Notre système a du mal à appréhender le modèle économique de la prévention car les rendements sont des rendements de demain quand les dépenses sont des dépenses d’aujourd’hui. La question qui se pose est celle de la participation individuelle de chacun à sa propre prévention. »

« L’autre question, c’est le rôle des organismes complémentaires dont on peut dire en tant que citoyen que leur plus-value en process de prévention aujourd’hui n’est pas établie. On ne peut pas dire que les mutuelles sont nos premiers partenaires santé comme ils le prétendent, c’est notre premier partenaire de remboursement mais quand on a un souci de santé on ne se dit pas qu’on va voir avec sa mutuelle si elle a une application pour m’aider » et d’ajouter, sur le rôle des organismes complémentaires, qu’il faudrait « une démarche ambitieuse de l’ensemble des mutuelles et assurances pour se mettre en situation d’être des partenaires de la prévention ». A ce titre, l’exemple des organisations qui sont offreurs et financeurs de soins (comme l’administration des Vétérans de guerre aux Etats-Unis) est intéressant « ce qu’elles mettent en argent dans la prévention, elles le gagnent en dispensation de soins ».

Sur la présence de YouTube dans le secteur de la santé :

« Pendant que l’on débat de ces sujets il y a un monde industriel, économique qui n’appartient pas au secteur de la santé et qui avance dans ce domaine ».

« C’est vraiment intéressant de faire ce pas de côté avec YouTube ; ça démontre que pendant que l’on débat de ces sujets il y a un monde industriel, économique qui n’appartient pas au secteur de la santé et qui avance dans ce domaine. On voit que le marché de la santé est extrêmement profitable, il y a des parts de marché, de l’argent, du business à faire. L’intervention de YouTube nous dit une chose très intéressante. La puissance publique produit ce genre de contenu. Le site d’Ameli ou celui de la CNAM par exemple, regorgent d’informations médicales précises validées. Le sujet c’est leur impact, leur qualité visuelle, leur puissance d’attraction qui n’a rien à voir avec YouTube. L’enjeu c’est d’être capable de faire aussi bien. C’est faisable ! A condition que l’on se dise que ce n’est pas de la sous-médecine, de la publicité, du commerce et que c’est réellement un levier de santé publique » et de conclure en introduisant un élément critique concernant l’autorégulation des plates-formes comme YouTube ou « les vidéos en matière de santé les plus regardées sont celles de naturopathes qui indiquent que l’on peut soigner des cancers avec de la naturopathie », cela est inacceptable pour Stéphane Pardoux qui appelle à une plus grande régulation quand on propose du contenu en liant avec la santé.

La suite de ce grand débat…

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