Introduction :
Les différents confinements ont fait exploser les usages de la e-santé, notamment les téléconsultations avec l’espoir que cela crée une réelle dynamique d’adoption de ces outils par la population et les professionnels. Trois ans après, nous nous posons la question de savoir si nous n’avons pas été victimes d’un mirage ? Les chiffres de la téléconsultation se sont effondrés, l’accès à des médecins reste toujours très compliqué et les français dans leur grande majorité ne se sont pas appropriés de manière active leur espace de santé numérique. Les anciennes habitudes semblent avoir refait surface alors que nos systèmes de santé sont plus que jamais en crise, parfois au bord de l’implosion et où près de la moitié des français ont affirmé renoncer à au moins un soin l’année dernière !
Alors, la E-santé : oasis ou mirage pour nos systèmes de santé ? C’est la question qu’on a posée à nos invités lors de notre grand débat introductif de la dernière édition de l’Université de la e-santé. Nous avons eu le plaisir et le privilège d’accueillir le Dr Sam Shah, expert international e-santé et ex directeur du développement digital du NHS, Denise Silbert, conférencière et fondatrice de Basile Stratégie, Arthur Dauphin, chargé de mission numérique à France Assos Santé, Béatrice Garrette, directrice générale de la Fondation Pierre Fabre, le Dr Vishaal Virani, responsable de YouTube Santé au Royaume-Uni et Stéphane Pardoux, directeur général de l’ANAP et conseiller scientifique de l’Université de la e-santé.
Des échanges riches, parfois musclés mais qui ont permis à nos participants de prendre de la hauteur et surtout d’avoir une vision globale sur les freins mais aussi sur les succès dans le déploiement de la e-santé !
Retour sur les points de vue exprimés par Arthur Dauphin, chargé de mission numérique à France Assos Santé, Conseiller Scientifique de l’Université de la e-santé, et Denise Silbert, fondatrice de Basile Stratégie, pour ce deuxième article consacré à ce grand débat.
Arthur Dauphin, chargé de mission numérique à France Assos Santé
Arthur Dauphin partage le constat, oui l’usage de la téléconsultation est effectivement retombé à des niveaux pré-covid. Il l’explique : « l’usage de la téléconsultation n’est pas un usage choisi et elle ne peut répondre à tous les besoins. Aujourd’hui les patients vont avoir le choix entre aller aux urgences ou faire une téléconsultation sur une plate-forme avec un médecin qu’il ne connaisse pas et sans remboursement ». On est au final dans une situationde « faute de mieux » …
Si différentes études affirment que les patients identifient très facilement les avantages de la téléconsultation (réduction des délais, des distances) et qu’ils en sont d’ailleurs satisfaits, un récent sondage démontre qu’ils préfèrent « tout de même une consultation en présentielle s’ils avaient le choix ». On est peut-être face à un problème culturel, quand le Conseil National de l’Ordre des Médecins et l’Assurance Maladie expliquent « qu’il y a une bonne téléconsultation, faite par le médecin traitant et dans des conditions bien précises, on voit bien que c’est en décalage avec les besoins des patients d’aujourd’hui ». Ce qui pêche pour Arthur Dauphin ? « On a aujourd’hui mis de l’innovation dans une logique de consommation de soins, pas dans une logique de redonner aux patients des parcours de soins de proximité, de la coordination ». Cette innovation n’est pas parvenue « à remettre du contact humain ».
Aux Etats-Unis, on se pose moins ces questions pour Denise Silbert, notamment dans les « systèmes intégrés », (comme le Département des anciens combattants par exemple, qui gère le système de santé de plusieurs millions de vétérans de guerre) qui ont comme spécificité de dispenser et financer les soins. De nombreuses études ont démontré l’efficience en efficacité et en coût du courriel et de la téléconsultation. De façon globale un sondage réalisé en novembre 2022 « indique que 90% des américains ont eu recours à une sorte de téléconsultation ». Mais aux Etats-Unis le système de santé n’est pas forcément comparable avec la France. C’est l’entreprise qui prend souvent en charge les coûts de santé des employés et ces entreprises « sont très heureuses que les employés ne prennent pas une demi-journée pour voir leur médecin et de faire chuter les coûts des téléconsultations ». En France, et malgré des études qui démontrent l’utilité et la pertinence des téléconsultations « ce n’est pas encore assez développé car les données économiques ne sont pas alignées ».
Arthur Dauphin, Chargé de mission numérique France Assos Santé
Mais entre « galérer » pour avoir un rendez-vous avec un médecin et avoir la possibilité d’en contacter un plus rapidement avec la téléconsultation, ne peut-on pas considérer qu’un bénéfice existe ?
La question ne doit pas être posée de la sorte pour Arthur Dauphin, pour lui la Télémédecine fonctionne bien dans des programmes où « l’outil numérique devient un vrai outil pour l’équipe de soins, dans les établissements de santé, les services des urgences… ici le patient bénéficie des apports du numérique avec une prise en charge plus adaptée, plus rapide et donc d’un meilleur accès aux soins ». La difficulté est « qu’aujourd’hui on ne propose rien aux patients dans leur parcours de ville, leurs soins programmés ! ».
Pour illustrer son propos Arthur Dauphin en revient à la notion d’« Oasis ». « Cette notion est intéressante, ce n’est pas qu’un espace de verdure qui pousse comme ça au milieu du désert où on vient s’abreuver et profiter des fruits qui pourraient pousser. L’oasis par essence c’est une construction agronomique de l’homme par de l’irrigation. Il y a une vraie construction, un parti pris d’aller organiser le territoire. Finalement c’est ça que l’on doit faire avec la e-santé, comment on réalise avec tous les acteurs cette construction. Comment on fait que toute cette eau, ces ressources, cette innovation, viennent nourrir quelque chose de commun, un système de santé plus solidaire, que les trous puissent être comblés par le numérique ».
Nous serions en train de développer de l’innovation sans avoir une vue globale du système de santé. Pour Arthur Dauphin, il « faut accepter que la médecine de demain n’est pas celle d’hier à travers un écran » et de revenir toujours au concept d’Oasis pour s’expliquer « l’oasis est une manière spécifique de faire de l’agriculture avec des conditions difficiles. Est-ce que l’innovation dans les oasis c’est l’irrigation ou la manière d’où elle est organisée pour créer différemment des ressources agricoles ? Ça rejoint la question de l’innovation, on a plein de technologies mais la plus grande innovation est comment on fait de l’innovation organisationnelle pour produire différemment de la santé. Aujourd’hui on n’a pas encore utilisé l’eau de l’oasis pour faire pousser de nouveaux fruits… ».
Aux critiques qui considèrent que les associations de patients sont trop conservatrices sur le sujet, Arthur Dauphin répond que « les patients n’ont pas peur de l’écran ». Mais on ne pas cautionner une offre comme celle proposée par Ramsay[1], pour « faire croire à des usagers que l’accès à la santé c’est payer un abonnement. Ici ce n’est pas la question du prix qui nous choque, c’est de résumer l’accès à la santé à ça ». Et d’ajouter, pour appuyer, son propos qu’il s’agit d’une offre « qui fait sa rente sur le désespoir des usagers alors que nous voulons de nouvelles organisations qui remettent la pertinence des soins et des parcours au centre et d’offrir une place à la télémédecine qui soit la bonne ». Ce type d’offre n’est pas la bonne façon de faire, « c’est un mirage ! ». Pour France Assos Santé, l’accès aux soins c’est d’avoir de nouvelles organisations territoriales qui utilisent le digital, la téléconsultation, la télémédecine pour proposer des vrais parcours aux usagers.
Et côté professionnels de santé ?
Pour Denise Silbert, d’une façon théorique tout le monde est convaincu de l’utilité de la e-santé dans la prise en charge des patients. Cependant, « on souffre en France de la complexité ou de l’absence de modèles de schémas d’utilisation de la e-santé ». Si on interroge des équipes médicales sur un schéma idéal « personne ne pourra me répondre et les réponses seront toutes différentes. Les professionnels verront tous l’utilité d’une téléconsultation, d’une simulation d’une opération chirurgicale, de la gestion de données mais ils ne seront pas comment le faire ! ».Pour trouver ce schéma, il est essentiel de se poser les bonnes questions : quelles données dois-je collecter,comment les collecter, qu’est-ce que ça va m’apporter, comment j’explique ça aux patients, quelle est la chaine économique, quelle est l’infrastructure que je devrais avoir, quelle est la relation numérique que je devrais avoir avec la population, quel est le degré de numérisation que je devrais avoir ? … La grande difficulté est « qu’il y a 8 ou 10 sujets où l’offre est tellement importante que cela crée une cacophonie, les acheteurs, les cliniciens ne savent pas comment avancer ».
Denise Silbert, fondatrice de Basile Stratégie
L’une des réponses en France pourrait être les CPTS qui permettent de travailler du terrain vers le haut, d’identifier des besoins et de trouver des solutions collectives mais « concrètement les professionnels ignorent tout de ce qui pourrait se faire et de l’apport économique des solutions innovantes et la feuille de route n’est pas claire pour ces professionnels car elle n’est claire pour personne ». L’industrie pharmaceutique a une connaissance, un savoir-faire dans ce domaine et en matière de relation avec les professionnels de santé. Tout le monde serait gagnant si « l’industrie pharmaceutique pouvait créer des modules de formation pour leurs spécialités. Pas pour parler des produits mais expliquer l’état de l’art, pas que sur les molécules mais aussi sur tous les outils et services digitaux ».
Certes, la pénurie des professionnels de santé comme argument pour développer la e-santé est un argument important mais malheureusement il contribue aussi à une réflexion négative « comme on n’a pas pu produire avec une baguette magique 50 000 professionnels de santé on prend de la e-santé qui est une version dégradée ». Le message le plus important au final pour Denise Silbert : « c’est professionnel de santé seul versus professionnel de santé équipé. Un professionnel équipé aura toujours de meilleurs résultats cliniques et des patients mieux pris en charge ».
Bienvenue sur notre blog dédié à la santé numérique. Au fil des articles que nous partagerons ici, nous reviendrons sur les temps forts de l’Université de la e-santé et nous explorerons en profondeur le vaste monde de la e-santé. Que vous soyez un passionné ou un professionnel des nouvelles technologies, préoccupé par votre santé personnelle, ou tout simplement curieux de savoir comment le numérique affecte le domaine médical, ce blog est fait pour vous !
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