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Portrait de femme entrepreneuse dans le e-santé : Eirini Rapti, fondatrice de Inne

Eirini Rapti a fondé Inne en Allemagne après avoir constaté l’évolution de son cycle hormonale suite à des années d'utilisation de contraceptifs. Passionnée par le sujet des hormones, elle a passé des mois à étudier le sujet et à interviewer des experts avant de se lancer. Inne propose un test salivaire quotidien pour mesurer la progestérone, permettant aux femmes de mieux comprendre leur cycle. L'entreprise a des clients en Allemagne, Autriche, Suisse, Royaume-Uni et un partenariat aux États-Unis. Malgré des défis liés au financement en tant que femme entrepreneuse dans la femtech, Inne a levé 17 millions d'euros et atteint un million d'euros de chiffre d'affaires. Eirini appelle à des investissements plus importants pour faire avancer l'innovation dans la santé féminine, soulignant que l'essor de la femtech doit être soutenu par un financement substantiel. On a eu l’immense plaisir de l’accueillir à la dernière Université de la e-santé.

« Je pense que les hormones sont magnifiques et le fait qu’elles soient présentes dans notre corps tous les jours nous rendent super spéciales en tant que femmes. C’est ainsi que j’ai commencé et j’ai créé mon entreprise »

 

Vous avez créé la Société Inne en Allemagne, c’est une histoire personnelle qui porte la création de cette société ?

Je pense que mon parcours dans l’entreprenariat a été le résultat direct du système de santé mondial. J’ai été une patiente très obéissante. J’ai pris la pilule, le stérilet, les serviettes hygiéniques parce que je devais être une femme responsable et traverser ma vie. J’ai passé dix ans à travailler dans le secteur de la santé et j’ai adoré ça. A l’âge de 32 ans, je me suis retrouvée dans une situation personnelle où j’étais célibataire et où je n’avais donc plus besoin d’une méthode contraceptive permanente. Et tout d’un coup, j’ai vraiment réalisé qu’il se passait quelque chose dans mon corps et donc dans ma vie, de manière très cyclique. Je sais que pour les jeunes femmes cela semble être une évidence, mais je suppose que beaucoup de femmes dans cette salle utilisent des contraceptifs depuis plus de dix ans. La première fois que vous vous rendez compte que vous avez réellement un cycle et qu’il a un effet différent d’une semaine à l’autre, c’est une véritable révélation.

Me concernant ce qui a été vraiment douloureux est de découvrir cela et de se dire pourquoi ai-je dû prendre la pilule ? Nos hormones changent tous les jours et elles sont très difficiles à apprivoiser, très difficiles à comprendre. Prendre la pilule est une action sûre, facile à faire. Mais cela ne me suffisait pas ! Je me suis donc dit que si je ne voulais pas utiliser d’hormones et que je voulais des contraceptifs naturels, comment essayer d’utiliser ce que ma grand-mère avait l’habitude d’utiliser, c’est-à-dire un thermomètre vaginal ou un stylo et du papier ? Comment utiliser quelque chose qui équivaut à mon expérience « Kindle » en une expérience de “conduite automatique”. Je suis devenue obsédée par les hormones. Je pense que les hormones sont magnifiques et le fait qu’elles soient présentes dans notre corps tous les jours nous rendent nous les femmes super spéciales. C’est ainsi que j’ai commencé et j’ai créé mon entreprise.

Je trouvais belle l’idée de me connecter à mes hormones, de comprendre quand je suis fertile, la signification de mes fluides. Mais je devais en faire un business, et de préférence un business qui allait me rapporter beaucoup d’argent ! Je me suis donc lancé dans cette aventure avec beaucoup de conviction !

 

« Je trouvais belle l’idée de me connecter à mes hormones, de comprendre quand je suis fertile, la signification de mes fluides. Mais je devais en faire un business, et de préférence un business qui allait me rapporter beaucoup d’argent ! »

 

Est-ce que vous pouvez nous décrire comment vous avez vécu ces premiers mois de création de votre société ?

Je n’avais pas l’impression de lutter contre un système. Je fonctionnais en dehors du système, ce qui, je pense, a été une bénédiction pour moi. Bien qu’ayant travaillé dans le secteur de la santé, je ne suis pas une professionnelle de santé. J’ai passé six mois à essayer de comprendre la signification physiologique et médicale des hormones. J’ai créé un dossier dans lequel j’ai consigné tous les articles et entretiens d’experts. J’ai contacté tous les professeurs, les médecins, je ne sais même pas pourquoi, ils m’ont accordé du temps. Je les ai interviewés et j’ai consigné et organisé leurs réponses, tout en ayant un travail à plein temps. C’était juste une obsession ! Ensuite, j’ai utilisé des méthodes d’innovation commerciale pour essayer de comprendre ce que nous pourrions créer comme produit qui serait médicalement et scientifiquement valide, qui nous amènerait aux hormones elles-mêmes. Pas de sous-produits, pas de température, pas de changements électrochimiques dans le vagin, mais des hormones qui seraient faciles à utiliser pour les femmes avec un modèle d’abonnement pour avoir une bonne rentabilité.  

J’ai donc passé environ six mois à faire cette recherche scientifique, puis six autres mois à parler à des femmes, très simplement, en examinant les applications de suivi qui commençaient à apparaître. Elles avaient toutes un bouton communautaire avec des discussions en cours et des femmes qui partageaient leurs graphiques et leurs cycles. J’y suis donc allé et j’ai dit : “Je suis en train de construire une grande innovation. Auriez-vous 20 minutes à m’accorder ? » À l’époque, il s’agissait d’entretiens par Skype. J’ai donc essayé de comprendre leur souhait, ce qu’elles aimeraient utiliser. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance d’être en dehors du système. Lorsque j’ai décidé de quitter mon emploi et de déménager à Berlin pour me lancer dans cette aventure j’ai dû me connecter à un système de santé, à un système d’investissement. J’ai créé une société de biotechnologie et nous avions besoin de construire un laboratoire, mais comme je n’étais pas une spin off d’une université personne ne voulait me donner d’espace de laboratoire, même si j’avais de l’argent pour y envoyer des scientifiques pour faire de la recherche. Il y avait donc un côté romantique à être en dehors du système et un côté dur à essayer de se faire accepter dans le système.

 

« Il y avait donc un côté romantique à être en dehors du système et un côté dur à essayer de se faire accepter dans le système »

 

Ça a dû être extrêmement compliqué de monter cette entreprise alors que vous n’êtes pas professionnel de santé et sans médecin dans votre capital ?

Je pense que c’est un bon exemple de la manière dont les femmes essaient de prendre leur santé en main. En ce qui concerne mon entreprise, j’ai eu le luxe de travailler pendant plus de dix ans dans le monde de l’entreprise et de faire des économies. J’ai donc eu du temps et pu investir mon argent pour comprendre le problème. Ensuite, j’ai utilisé mes relations pour lever des fonds et engager des experts. En Europe vous ne pouvez pas créer une entreprise médicale sans être réglementé. Sinon vous ne vendez rien à vos clients. Alors oui, vous pouvez avoir une Eirini qui a une idée et qui consacre son temps et son argent à l’étudier, mais vous avez besoin d’experts pour construire vos produits.

Les entrepreneurs n’entrent pas dans un moule unique et cela m’énerve quand on dit à quoi doit ressembler un fondateur lambda. Nous devons être un peu plus ouverts, inclusifs aux différents exemples de création d’une entreprise médicale. Heureusement, je travaille depuis longtemps avec des collègues scientifiques et médicaux.

 

« Les entrepreneurs n’entrent pas dans un moule unique et cela m’énerve quand on dit à quoi doit ressembler un fondateur lambda »

 

Vous avez développé un petit objet qui permet de faire des tests salivaires à domicile, vous pouvez nous expliquer comment fonctionne ces tests ?

Il y a un petit test salivaire. Vous prélevez quotidiennement de la salive pendant 30 secondes. Ensuite, c’est une technologie similaire à celle utilisée pour les tests de grossesse ou les tests Covid, mais conçues de manière à ce que vous n’ayez pas besoin d’un système tampon externe pour faire fonctionner le test. Il suffit ensuite de l’insérer dans un lecteur qui prend la mesure en temps réel de vos hormones. Toutes les données sont ensuite envoyées à un serveur. En back-end nous recueillons des informations sur votre cycle, vos symptômes, mais aussi votre poids. Tout autre symptôme que vous pourriez avoir et qui indiquerait des cycles irréguliers ou de l’endométriose ou un SOPK.

Nous mesurons la progestérone, qui est l’une des principales hormones sur lesquelles nous nous sommes concentrés pour diverses raisons. C’est une hormone magnifique qui vous fait passer de la phase folliculaire à celle qui vous indique si vous avez ovulé ou non, et qui joue un rôle clé au cours du premier trimestre de votre grossesse pour les fausses couches. Elle joue un rôle important dans la périménopause, la postménopause et la ménopause proprement dite. Il s’agit donc d’une excellente hormone pour commencer.

Votre système est commercialisé dans quels pays ?

Inne est un dispositif médical en Europe réglementé de classe 2. Nous avons des clients en Allemagne, en Autriche, en Suisse et au Royaume-Uni. Nous avons également un partenariat B2B aux États-Unis, où nous avons une sorte de version de notre algorithme qui aide les femmes en ménopause à comprendre si elles sont en ménopause précoce, moyenne ou tardive mais cela ne concerne que les femmes aux Etats-Unis.

« Cela a-t-il été difficile parce que je suis une femme ? Oui ! »

 

Combien de salariés ? De chiffre d’affaire ? Vous avez fait une levée de fond ? 

Nous en sommes à 1 million de CA, et nous sommes 27 personnes. Nous avons levé 17 millions d’euros à ce jour, ce qui, à mon avis, est très peu pour ce que nous avons dû construire et si l’on considère d’autres exemples dans le domaine de la biotechnologie ou des dispositifs médicaux. Nous avons réussi à mettre un produit sur le marché dans les quatre ans qui ont suivi notre création. Cela a-t ’il été facile ? Non. Cela a-t-il été difficile parce que je suis une femme ? Oui. Mais je tiens à remettre les choses dans leur contexte. Je pense que pour toute minorité, qu’il s’agisse du genre, de la sexualité ou de la couleur de peau, il sera difficile de collecter des fonds parce que la majorité des décideurs sont des hommes blancs, plus âgés. Je pense que la complexité supplémentaire pour moi était due au fait que mon produit était essentiellement destiné aux femmes, et que je devais donc très souvent le présenter de manière à ce qu’elles le comprennent ou qu’il ait une résonance pour elles.

Cela fait maintenant sept ans que je fais des levées de fonds. Ce que j’ai vu au cours de ces sept années, c’est que beaucoup de jeunes femmes intègrent le secteur de l’investissement, ce qui m’a permis d’avoir très facilement des premiers appels et des deuxièmes appels, mais malheureusement, d’être bloquée lorsqu’elles atteignaient le niveau des partenaires.  J’espère que les décideurs qui dirigent encore les fonds de niveau supérieur vont permettre aux femmes d’occuper des postes de partenaires. Et ce que je constate, c’est que beaucoup de femmes plus jeunes dans ce secteur ne misent malheureusement pas sur la santé des femmes car elles ont besoin d’avoir une entreprise prospère pour être promues et avoir un pouvoir de décision, c’est un cercle vicieux.

Vous avez été soumis à la peur des investisseurs de miser sur un projet centré sur les femmes par peur de rentabilité insuffisante ?

Absolument. C’est vraiment un paradoxe. Plus on avance dans le domaine de la santé féminine, plus il est difficile de lever des fonds. Cela signifie que l’innovation passe au second plan, que c’est une occasion manquée et les fondateurs se fatiguent…  

Je voudrais vous faire part de deux choses que j’ai apprises au cours de ces sept années. La première, est qu’il y a une explosion mondiale de la femtech. Cela ne fait aucun doute. Ce que cela signifie également, c’est qu’il y a très peu d’argent donné à des petites structures. Il doit y avoir une consolidation de ce marché et je pense qu’au cours des douze prochains mois nous verrons la majorité des jeunes entreprises de santé féminine être rachetées où disparaître. Le marché est horrible et c’est nous qui serons les plus touchées. Je ne veux pas annoncer de mauvaises nouvelles, mais c’est la dure réalité.

La deuxième chose est que cette industrie est très règlementée, elle dépend des remboursements dans de nombreux pays, des systèmes de santé différents d’un pays à l’autre. On pourrait la comparer à l’industrie automobile. La sécurité des patients est très réglementée, les réglementations varient d’un pays à l’autre, etc. Mais que fait-on dans l’automobile quand on veut apporter de l’innovation ? On investit des sommes colossales, sinon on ne la fait pas avancer. Dans notre secteur on trouve formidable d’avoir 100 000€ mais si nous n’investissons pas beaucoup de capitaux dans les bonnes équipes avec les bonnes idées nous n’y arriverons pas.

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