La Fondation Pierre-Fabre est une fondation d’utilité publique dont l’objet est l’accès aux soins pour les populations des pays les moins avancés, les plus pauvres en fait. On travaille beaucoup en Afrique subsaharienne en Asie du Sud-Est aussi et en Haïti. Nous sommes une fondation « opératrice », on travaille donc directement avec les acteurs du terrain et on a développé des expertises dans certains domaines. On ne peut pas intervenir dans tous les domaines et on a plutôt choisi d’accompagner des domaines où il y avait de forts besoins mais en même temps peu de coopération et peu de financement internationaux d’aide à la santé. La dermatologie fait partie des axes de développement de la Fondation. Pourquoi ? Parce qu’on a constaté un manque abyssal de professionnels de santé qui sont en capacité d’apporter le diagnostic et le soin. Les maladies de peau au sens très large constituent un fardeau pour la population au Mali, on avait eu des études comme quoi c’était le quatrième ou cinquième motif de consultation dans des centres de santé de base. Et puis ce sont des pays aussi où un certain nombre de maladies qui ont été éradiquées chez nous perdurent et qui sont extrêmement graves.
Au Mali, la lèpre n’est pas éradiquée. Tous les ans, il y a à peu près une centaine de cas qui remontent à Bamako mais dans les fait c’est beaucoup plus, c’est un très grand pays, avec beaucoup de cas qui restent non soignés dans les provinces. Donc ce n’est pas du tout anodin. On travaille depuis presque plus de dix ans maintenant sur cette question au Mali avec les acteurs du pays, notamment les dermatologues qui sont très peu nombreux. Quand on a commencé il y a dix ans, il y en avait une dizaine. Maintenant, il y en a plutôt une vingtaine pour un pays qui fait 20 millions d’habitants. C’est un dermatologue pour un million d’habitants ! Mais c’est pire que ça parce qu’ils sont quasiment tous à la capitale. Ça veut dire que vous avez un immense territoire qui n’a accès à aucun diagnostic qualifié pour ces maladies de peau. Sur ce projet on a travaillé vraiment main dans la main avec les professionnels et le ministère de la Santé. On a commencé en faisant d’abord des pilotes sur trois régions et puis en étendant.
Maintenant on a un système de maillage du territoire dans lequel on a développé un modèle de télé-expertise. Ce n’est pas de la téléconsultation c’est la télé-expertise c’est à dire qu’on s’adresse de professionnel de santé à professionnel de santé. Il y’a différents niveaux de centre de santé au Mali. Mais en général on est plutôt à un niveau où il n’y pas de médecins mais d’autres professionnels de santé. L’important, c’est de pouvoir faire en sorte que tous les acteurs soient d’accord pour de la délégation de tâches. En fait, la partie technologique n’est pas vraiment un problème. C’est tout un ensemble d’organisation des soins qui fait qu’on va former ce qu’on appelle des agents de santé, soit un médecin ou un infirmier dans un centre de santé local, dans une région. Cet agent a d’abord été formé pour identifier les maladies de peau les plus courantes. Et il y a un certain nombre de maladies de peau qu’il peut diagnostiquer, qu’il peut prendre en charge directement. Donc c’est la première étape.
Oui, toutes sortes de maladies qui sont visuellement faciles je dirais à identifier avec des traitements relativement simples où les médicaments sont aussi accessibles et on va essayer de les former. Après c’est une formation continue et surtout on va les aider à identifier les cas complexes qui nécessitent l’intervention d’un spécialiste. A ce moment-là ils vont être formés aux outils digitaux Au début on avait commencé avec des ordinateurs, des appareils photo numériques etc. Maintenant tout se fait avec le téléphone qui devient l’élément central. Ils sont formés à pouvoir faire une description du cas et à envoyer des photos et ils sont aussi formés à prendre les photos de telle manière qu’elles soient utilisables pour pouvoir faire un diagnostic. La dermatologie s’y prête bien. C’est quand même visuel. Dans ces cas complexes, ils vont faire un dossier et ils vont l’envoyer aux dermatologues du pays. Ça, c’est très important. On ne va pas envoyer ça en Suisse, en France, etc. C’est les dermatologues qui sont à la capitale et qui font partie de cette expérimentation qui vont recevoir les cas complexes et qui vont donner un avis.
C’est cet avis, ce diagnostic qui sera donné par l’agent de santé aux patients. Tout ça se fait par une plateforme dédiée spécifique. C’est un outil qui a été développé par un organisme qui s’appelle le RAFT et qui est hébergé aux Universités de Genève. C’est une plateforme qui est adaptée pour ce type de pays et d’environnement c’est à dire que ça fonctionne avec un Internet bas débit. C’est offline online donc souvent les données sont enregistrées offline et sont envoyées quand l’Internet est accessible. Ça garantit aussi la confidentialité. C’est des plateformes fermées donc n’y ont accès que les professionnels de santé autorisés et elles sont en capacité de supporter les photos à un certain niveau de qualité, de taille etc. L’avantage est que le patient va aller dans son centre de santé de proximité. Il aura peut-être 20 kilomètres à faire mais ce n’est pas les 800 pour aller à la capitale s’il habite au nord du pays. Il va avoir en face de lui une personne qui va être capable de reconnaître sa maladie, soit de la soigner immédiatement, soit de lui donner l’avis du spécialiste à distance. Du coup, on part de zéro. Il y avait zéro accès aux diagnostics et aux soins. Et là, on donne cette possibilité d’avoir un diagnostic.
On a une centaine d’établissements qui ont été formés, équipés. Après, il y a du turnover. Il faut tout le temps refaire les choses, et ça c’est l’hôpital de dermatologie qui gère ce réseau. Mais effectivement aujourd’hui c’est réparti sur une grande partie du territoire. Dernièrement nous avons fait intervenir un infirmier à Ménaka qui est vraiment dans le Nord. Ce qui est extraordinaire c’est qu’on aide le centre de santé et le personnel à gagner en compétences et le bouche à oreille fonctionne très vite et par conséquent la fréquentation augmente. Ce qui peut être parfois très déroutant, c’est que dans des pays où il y a vraiment un problème d’accès aux soins, les gouvernements ont quand même essayé de créer des centres de santé en zone rurale mais ils sont souvent sous fréquentés. Pourquoi? Parce que quand les gens arrivent, ils sont mal reçus, les professionnels ne sont pas présents, ou l’infirmier n’est pas qualifié où les médicaments ne sont pas disponibles. Donc renforcer ces centres permet aussi de renforcer la fréquentation. Et ça, c’est un cercle vertueux. Nous avons aussi pu faire ça parce que les dermatologues étaient aussi d’accord pour cette délégation de tâches, qu’ils ont participé à la formation et qu’ils y trouvent quelque part un peu leur compte, même s’ils ne sont pas rémunérés.
Ensuite, on est dans des pays où il n’y a pas d’assurance santé. Il y a 3 ou 4% de la population qui a une assurance santé, les fonctionnaires ou les personnes qui travaillent pour de grandes entreprises internationales. Pour le reste de la population tous les soins sont payés « de la poche ». Quand les gens n’ont pas accès à des services de santé de base ils vont voir le praticien « traditionnel », Ils se débrouillent comme ils peuvent, on est dans des pays aussi où les gens vivent avec moins de dollars de deux dollars par jour, ils ne peuvent pas se déplacer pour aller à la capitale. C’est donc extrêmement contraint. Donc en se rendant dans ces centres, ils vont payer leurs consultations de base, mais ils vont avoir dans ce package à un avis d’un spécialiste. Et le centre de santé va avoir un supplément de recettes puisqu’il aura plus de personnes.
Dans le modèle qu’on expérimente, le spécialiste n’est pas rémunéré. Pourquoi il le fait ? parce qu’on travaille avec des dermatologues du secteur public. Donc quelque part, ils prennent ça dans leur mission régalienne et parce qu’on a travaillé aussi avec un médecin doté d’un très fort leadership. On a la chance sur le Mali de travaillé depuis le début avec un professeur de dermatologie, le Professeur Ousmane Fay, qui a eu cette vision. Depuis, son centre de santé s’est transformé en hôpital de dermatologie de Bamako. Donc on avait quelqu’un qui avait ce leadership. On a développé aussi ce projet dans d’autres pays. Justement, l’absence ou la présence de leadership, c’est vraiment un élément fondamental. Mais je pense aussi que dans les années qui viennent, on va étudier aussi des modèles économiques avec une rémunération du spécialiste. Si on arrive à développer ces projets, ça fera probablement partie aussi de la feuille de route.
Au final la technique n’est pas un obstacle énorme ?
Les gens aussi ne sont pas habitués au même confort. Si je pense à notre infirmier de Ménaka., il y a des jours où il finit sa journée, il prend sa motocyclette, il fait 10 kilomètres et puis il cherche le signal pour envoyer ses datas….
Je pense qu’il faut que chaque personne s’y retrouve dans la chaine de valeur. L’agent de santé va être valorisé parce qu’il a été formé à une spécialité médicale et aux outils numériques, il va acquérir un certain statut. Au départ je me souviens qu’il y avait 40% des infirmiers qui n’avaient jamais touché un ordinateur. Donc de toute façon ça c’est une élévation personnelle qui va les aider. L’équipe de dermatologues, avec le leadership de leur patron, s’est investie aussi dans ce projet parce qu’ils deviennent encore plus spécialistes. Tout l’enjeu était d’avoir ce triage au niveau du terrain. Si tous les cas étaient remontés aux dermatologues, ça aurait explosé tout de suite.
À peu près 20%. Il faut que ce soit uniquement des cas complexes qui remontent. Du coup, il y a aussi l’intérêt scientifique pour ces spécialistes de voir vraiment des cas complexes. On est dans une phase ou on les incite à utiliser et ordonner leur datas et faire de publications. L’objectif, c’est vraiment que ça puisse appuyer des recherches basées sur des évidences de façon à essaimer. C’est aussi une façon de rémunérer ces spécialistes en leur permettant de publier, de participer à des colloques, de faire partie d’un réseau international et aussi montré qu’un pays comme le Mali peut être aussi pionnier et moteur sur des innovations.
On est dans des pays où malheureusement, les ressources publiques dédiées à la santé sont archi insuffisantes. Il y a eu dans les années 2000 ce qu’on appelle la déclaration d’Abuja avec un grand engagement de ces pays du Sud de mettre 15% du budget de l’État sur la santé. Aujourd’hui s’ils sont à 5%, c’est le maximum et c’est des tout petits budgets, c’est des pays pauvres. Dans les faits la santé n’est pas financée. C’est ça le problème. On a maintenant des populations qui sont quand même conscientisées avec Internet et ils ont beaucoup plus d’ouverture sur ce qui se passe dans le monde. Donc ils savent que ce n’est pas normal de ne pas pouvoir voir un médecin. Ils sont aussi moins passifs. Les décideurs politiques dans beaucoup de pays se sont engagés à un grand objectif qui est la CSU (la couverture sanitaire universelle) qu’a beaucoup promu l’actuel directeur de l’OMS Tedros Ghebreyesus, que chaque citoyen dans chaque pays est droit à un minimum de soins de base de qualité.
Les élus utilisent cette CSU comme un argument électoral et en même temps ils ont quand même bien compris que sans le digital ils n’y arriveront pas. Si on regarde juste les chiffres, il y a une population de spécialistes qui est tellement basse que même s’ils mettent beaucoup d’argent pour les former ils n’y arriveront pas. Il ne suffit pas de former des spécialistes. A la Fondation Pierre Fabre on finance beaucoup de bourses, master, doctorat. Tout l’enjeu c’est que les postes soient créés et qu’ils soient créés dans le secteur public. Ça ne nous intéresse pas qu’à Bamako il y ait davantage de médecins spécialistes libéral uniquement pour la petite proportion de personnes qui a les moyens. Si on veut toucher la population il faut que ce soit des postes dans les hôpitaux publics. Et là il faut que non seulement les postes soient créés, financés et que les personnels soient bien rémunérés car en général ils sont mal payés. Mais il faut aussi un environnement de travail avec des plateaux techniques à la hauteur, des infirmiers, bref le minimum pour fonctionner.
Oui, alors c’est une réussite mais c’est fragile. C’est vraiment un combat de tous les jours pour que ça continue. Mais en tout cas, c’est vrai que ça nous a servi de modèle. On l’a étendu depuis déjà 4-5 ans et maintenant, on est en phase aussi d’extension au Togo. On est plus en mode pilote au Niger et en Mauritanie avec des complications. Mais sur le Togo, ce qui est intéressant est que l’on on a eu un fort leadership de dermatologues avec une vraie vision. Et il se trouve qu’à ce moment-là, le ministère de la Santé du Togo a fait une revue de l’existant. Qu’est-ce qui fonctionnait dans le numérique? Quels étaient les besoins de la population, etc.? Ils ont identifié ce programme et ils nous ont demandé de le transférer avec la télé-échographie. L’objectif est de permettre dans des centres de santé en dehors de la capitale, que des agents de santé, pas des radiologues ou des gynécologues, mais des sages-femmes ou des infirmiers, puissent faire des échographies pour des femmes enceintes et identifier et repérer à l’avance les problèmes des cas de grossesse difficile pour qu’elles soient référées. Pas de les prendre en charge mais les identifier et les référer. On démarre tout juste ce pilote dans dix hôpitaux avec dix échographes en place. L’enjeu vraiment va être de documenter cette expérimentation et de travailler sur ce qu’on appelle une base zéro, c’est-à-dire avec un certain nombre d’indicateurs pertinents, pouvoir décrire la situation dans ces dix hôpitaux de façon à ce qu’avec ces indicateurs on voit l’évolution de ce nouveau dispositif de santé et qu’on puisse le quantifier scientifiquement.
Oui, théoriquement, oui. Après, il faut accepter la délégation de tâches.
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